22 Maires la jouent collectif

Vent debout contre la loi SRU, 22 maires du Val-de-Marne la jouent collectif pour se faire entendre

Article Le Parisien, 16 février 2021

 

Ces élus jugent irréalisables les exigences de l’Etat en matière de construction de logements sociaux. Par le biais d’une lettre ouverte envoyée à la ministre Emmanuelle Wargon, ils en appellent à un «urbanisme maîtrisé» et à une vraie écoute des réalités locales.

« A l’impossible, nul n’est tenu. » C’est pourtant l’impression tenace qu’ont un certain nombre de maires en Ile-de-France, face aux exigences de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) en matière de logement social.

Dans le Val-de-Marne, le taux de 25 % de logements sociaux à atteindre d’ici à 2025 apparaît à certains élus comme un horizon inatteignable. C’est l’un des messages que veulent faire passer, et parfois répètent, 22 maires du département, soit près de la moitié des maires du 94, à initiative de Charles Aslangul, le maire (LR) de Bry-sur-Marne.

Ils dénoncent une équation insoluble

Pour l’essentiel issus des rangs de la droite, ils sont aujourd’hui réunis dans un collectif pour un « urbanisme maîtrisé », et donc pour une révision de la loi SRU. Par le biais d’une lettre ouverte envoyée ce lundi à Emmanuelle Wargon, la ministre en charge du Logement, ils pointent notamment plusieurs contradictions rendant selon eux l’équation insoluble.

« Intenable » selon ces signataires, le raisonnement de la loi SRU leur apparaît « en contradiction totale avec le défi incontournable de préservation de l’environnement qui exige de maîtriser l’urbanisation et l’imperméabilisation des sols, mais aussi de créer de nouveaux espaces verts en milieu urbain ».

Et de mettre en avant les épisodes de confinement récents qui « ont montré, soulignent-ils, l’importance d’espaces de respiration indispensables pour les habitants ». Y voyant « une injonction contradictoire majeure », ils pointent le fait de « demander aux maires de bétonner toujours plus et en même temps de végétaliser ».

Une loi qui «ne tient pas compte des réalités locales»

Maire (LR) de Saint-Mandé depuis un peu plus de six mois, Julien Weil a naturellement intégré ce collectif d’élus se disant « parfaitement conscients du besoin de logements en Ile-de-France, qu’ils soient sociaux ou privés », tout en étant opposés à une densification menée « aveuglément » selon eux. « Saint-Mandé ne pourra jamais avoir 25 % de logements sociaux », résume celui qui dénonce le « manque de pragmatisme » d’une loi qui « ne tient pas compte des réalités locales ». « Il n’y a pas chez nous de foncier disponible et le foncier existant est très très cher. Impossible dans cette situation pour les bailleurs sociaux d’équilibrer leurs budgets. »

L’élu prend aussi sa calculette et fait les comptes. Saint-Mandé fait partie des dix communes du Val-de-Marne frappées d’un constat de carence en logements sociaux, en raison de réalisations jugées insuffisantes au regard de leurs objectifs triennaux 2017-2019. Et qui dit carence dit souvent lourde amende.

890 000 euros d’amende pour Saint-Mandé

Saint-Mandé n’y a pas échappé. « Pour nous, elle s’élève cette année à environ 890 000 euros », confie Julien Weil, qui met en avant « une dégradation de la capacité d’investissement » de la ville et donc un budget « beaucoup plus difficile à boucler ». « Nous devons par exemple différer des recrutements, ou repousser des opérations de rénovation urbaine », souligne-t-il.

Du côté d’Ormesson-sur-Marne, les exigences de la loi SRU donnent des suées à la maire (LR) Marie-Christine Ségui depuis son arrivée à la tête de la commune, voilà bientôt sept ans. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Nous étions à 1,17 % de logements sociaux en 2014, nous en sommes à 3 % aujourd’hui », expose-t-elle. Ici, l’amende pour carence en logements sociaux atteint 587 000 euros. « C’est énorme pour une ville comme la nôtre, qui a un équilibre financier fragile et pas beaucoup de ressources », regrette-t-elle.

«Ce n’est pas qu’on ne veut pas, on ne peut pas»

Les sanctions ne s’arrêtent pas là. Ormesson n’a pas seulement une lourde amende à payer. Comme Saint-Maur, Saint-Mandé et Le Perreux, cette ville n’a également plus la main sur les permis de construire. C’est désormais la préfecture du Val-de-Marne qui gère. « On s’entend dire qu’on ne fait rien, on nous stigmatise comme un mauvais élève, comme une ville réfractaire aux logements sociaux, alors que nous sommes volontaires et qu’il y a des grues partout dans la ville, c’est très injuste et assez décourageant », avoue Marie-Christine Ségui. Répondre aux exigences de la loi SRU, « ce n’est pas qu’on ne veut pas, on ne peut pas, répète-t-elle. On a trop de retard à rattraper, impossible de tout construire du jour au lendemain. »

Julien Weil ne goûte également pas d’être traité comme un voyou. « Il faut que l’on arrête de nous pointer du doigt comme de mauvais maires à qui il faut retirer leur pouvoir de décision et d’action, en l’occurrence ici en matière d’urbanisme », déclare-t-il. Dénonçant « une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales », il espère, comme les autres membres du nouveau collectif, être enfin entendu.

Pour l’heure, le cabinet d’Emmanuelle Wargon indique que « la ministre a pris connaissance de cette lettre ouverte et en recevra prochainement les signataires ». La nouvelle préfète du Val-de-Marne, qui prendra ses fonctions le 1er mars, sera-t-elle aussi d’une oreille attentive? Si Marie-Christine Ségui l’escompte bien, elle ne nourrit pas de grands espoirs. « Les préfets se sont succédé ces dernières années, rappelle-t-elle. J’ai expliqué la situation à chacun d’entre eux et cela n’a jamais rien changé. »

Le collectif réunit les communes de Bry-sur-Marne, Charenton-le-Pont, Choisy-le-Roi, Joinville-le-Pont, L’Haÿ-les-Roses, Limeil-Brévannes, Maisons-Alfort, Mandres-les-Roses, Nogent-sur-Marne, Noiseau, Ormesson-sur-Marne, Périgny-sur-Yerres, Le Perreux-sur-Marne, Rungis, Saint-Mandé, Saint-Maur-des-Fossés, Saint-Maurice, Santeny, Sucy-en-Brie, Thiais, Valenton et Villeneuve-le-Roi.

Les dix villes carencées en matière de logements sociaux : Le Perreux-sur-Marne, Marolles-en-Brie, Nogent-sur-Marne, Noiseau, Ormesson-sur-Marne, Périgny-sur-Yerres, Saint-Mandé, Saint-Maur-des-Fossés, Sucy-en-Brie et Villecresnes.