«Tous les studios de cinéma disparaissent !» : quel avenir pour le mythique site de Bry-sur-Marne ?

Sans ces mythiques studios, où Guillaume Canet aurait-il tourné le dernier « Astérix » ? Comment Jean-Jacques Annaud aurait-il pu recréer un incendie pour « Notre-Dame brûle » ? Combien de temps aurait duré le tournage de la série événement « Marie-Antoinette » si les scènes n’avaient pu être jouées que dans le véritable château de Versailles ?



Pour ces grandes réalisations récentes, comme depuis quarante ans, ce sont les studios de Bry-sur-Marne qui permettent au monde du cinéma de réaliser des prouesses. Le tout à 15 km à peine de Paris, dans le Val-de-Marne.

Bry, le 6 décembre. A l’association des chefs décorateurs du cinéma, on craint «une réduction des espaces de tournage et de stockage».
Bry, le 6 décembre. A l’association des chefs décorateurs du cinéma, on craint «une réduction des espaces de tournage et de stockage». LP/Laure Parny

Mais ce fleuron français, ex-studios de télévision du temps de la Société française de production (SPF), fait l’objet d’inquiétudes. Le promoteur Nexity, désormais propriétaire du terrain, a engagé des négociations pour revendre cette partie de sa propriété. Transpalux, la société qui exploite les studios, pourrait les acquérir en se regroupant avec d’autres professionnels du cinéma. Deux autres offres de rachat sont également étudiées.

Un pôle image, son et photo en préparation

En plus de cette revente, le début de la création d’un Pôle de l’image, du son et de la photo, qui doit voir le jour sur place autour des studios et de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), inquiète les professionnels des plateaux de tournage.

Deux courriers, adressés notamment à la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, viennent d’être rédigés par l’association des décorateurs de cinéma et des métiers associés du décor pour exprimer leurs doutes.

Des palissades entourent déjà les terrains mis à nu depuis les premières démolitions d’anciens bâtiments. L’INA a construit son extension toute neuve. Mais les studios, eux, voient l’espace et notamment les parkings leur échapper.

« Déjà, en 2015, le périmètre dédié à l’exploitation des studios avait été divisé par deux par l’acheteur des terrains, à des fins spéculatives », rappellent les professionnels. « Nous craignons de nouveau une réduction des espaces de tournage et de stockage, nous avons vraiment besoin d’espace », défend Laurent Tesseyre, président de l’association des chefs décorateurs du cinéma.



Les professionnels s’inquiètent toujours d’éventuelles spéculations immobilières, notamment depuis les premières démolitions. Sur des documents de travail, le terme « foncier mutable » les incite à s’interroger sur ce que vont devenir les terrains autour des studios.

À de multiples reprises, même les parkings du site se transforment en lieux de tournage, ce que les réalisateurs et chefs décorateurs craignent ne plus pouvoir faire. « Même Luc Besson vient tourner ici quand il a besoin de place, il n’y en a pas assez à la Cité du cinéma », insistent les professionnels.

« Créer un campus d’excellence au rayonnement international »

« L’objectif de ces terrains est d’accueillir exclusivement des activités en lien avec l’audiovisuel », promet en réponse Charles Aslangul. Le nouveau maire LR de Bry est devenu le défenseur en chef de cette « fabrique à rêves », où passe déjà « environ 50 % de la production du cinéma français ».

En tant que vice-président du territoire Paris Est Marne et Bois, chargé du développement du Pôle image, il a mené ces derniers mois le dialogue compétitif. Une procédure administrative visant à départager les agences d’architectes, urbanistes et autres aménageurs intéressés pour aider à la création du Pôle de l’image, du son et de la photo sur le site.

Bry, le 6 décembre. Les premières démolitions laissent entrevoir les énormes possibilités d'aménagement du site.
Bry, le 6 décembre. Les premières démolitions laissent entrevoir les énormes possibilités d’aménagement du site.

L’opérateur retenu aidera les sept membres du comité de pilotage du Pôle image (les villes de Bry et Villiers, Épamarne, Nexity, le territoire Paris Est Marne et Bois, l’INA et la sous-préfecture) à attirer des entreprises de ce milieu-là « pour créer un campus d’excellence au rayonnement international », défend Charles Aslangul. Les professionnels rêvent de l’arrivée de loueurs de décors, de costumes et autres matériels, qui permettraient de s’équiper en faisant quelques pas seulement.

Selon eux, le succès de Bry, depuis la création en 1987 de ce qui était alors la SFP, « résulte de la consultation des utilisateurs lors de sa conception initiale », alors « il faut écouter ceux dont c’est le métier », insiste Sabine Chevrier, documentariste, autrice en 2018 de « Main basse sur les studios de Bry ».

« Depuis que je suis gosse, tous les studios disparaissent, se désole Didier Diaz, dirigeant de Transpalux, qui loue les studios pour les exploiter. Ici, la qualité est formidable, on a l’expérience, la convivialité. Et, avec les séries, c’est une seconde jeunesse qui s’ouvre à nous ! Bry, c’est un début d’écosystème, il faut le développer avec un village de prestataires. »

Classe Alpha de l’INA, école Louis-Lumière, ArtFx, Gobelins…

Grâce au Pôle image en projet, plusieurs centres de formation sont attendus sur place, s’ajoutant aux formations déjà dispensées à l’INA, notamment avec sa classe Alpha. L’école Louis-Lumière, installée à deux pas, en Seine-Saint-Denis, a été un temps pressentie, l’ESMA de Montpellier pourrait ouvrir une filière à Bry, de même qu’ArtFx ou les Gobelins. Pour le maire de Bry-sur-Marne, « d’ici à 2024, le Pôle image sera la référence internationale en matière de formation et de production cinématographique et audiovisuelle françaises ! ».

« Le projet comprendra aussi des logements dédiés à ce pôle d’excellence, que ce soit pour loger les artistes pendant les tournages dans des apparts-hôtels ou une résidence pour les étudiants en formation », précise Jacques-Alain Bénisti, maire LR de Villiers-sur-Marne, qui pointe « toute la cohérence de ce projet avec le futur quartier Marne Europe et son palais des congrès situé tout près ».

« Un potentiel économique » rare dans la région

Ce projet de Pôle image est très suivi au gouvernement, par l’entremise du sénateur (UDI) du Val-de-Marne Laurent Lafon, qui préside la commission culture au Sénat. Preuve en est, en juillet 2021, dans le cadre du plan France Relance, 22 millions d’euros ont été attribués à l’INA, soit presque la moitié de l’enveloppe octroyée à la rénovation thermique des bâtiments de l’État dans le Val-de-Marne.

« On nous annonce 250 à 300 millions d’euros en provenance des plates-formes pour des tournages, ainsi qu’un nouvel accord avec Canal+ autour de 200 millions d’euros. Le secteur peut connaître une croissance intéressante dont le site Bry-Villiers doit bénéficier », s’enthousiasme l’élu.

Autour de « deux locomotives, les studios et l’INA », Laurent Lafon imagine déjà « un site majeur du Val-de-Marne », qui mérite d’être « vigilant ». Et de rappeler : « Il y a peu de sites en Île-de-France avec un tel potentiel économique ! »